Français et Européens, nous sommes et nous serons plus forts ensemble!

Huffington Post, 4 mai 2017

L’élection présidentielle française va se jouer autour d’un duel Macron/Le Pen dont la dimension européenne doit être appréhendée avec attention et résolution, sur la base de trois constats complémentaires.

1. Une élection nationale décisive qui aura des conséquences majeures pour l’Europe

Vu d’Europe et au-delà, il n’est pas anodin que les Français aient placé en tête du premier tour un candidat favorable à la construction européenne, à sa réforme et à son approfondissement. Si les enjeux européens ont occupé une place plus importante qu’à l’accoutumée dans la campagne, les enquêtes sorties des urnes indiquent cependant que les électeurs ont d’abord voté sur la base de considérations domestiques (renouvellement des pratiques politiques, éducation et formation contre le chômage, fiscalité, protection sociale…). Certains électeurs ont même pu voter en dépit de leurs réserves quant aux positions sur l’Europe du candidat qu’il soutenait, confirmant ainsi que l’Europe n’était pas au coeur de leurs préoccupations.

Ce vote centré sur des enjeux domestiques est plutôt logique dès lors que l’UE a des compétences subsidiaires et qu’elle n’est pas la principale responsable des difficultés de la France, ni des difficultés et réussites des 27 autres États membres. Ce rappel salutaire est d’ailleurs une bonne nouvelle pour les Français, qui ont les clés de leur destin en main en vue du deuxième tour puisqu’ils choisiront entre des options très différentes en termes de politiques nationales. Ce deuxième tour est à ce titre d’abord une élection décisive pour le redressement de la France et, en même temps, son verdict aura des conséquences profondes sur la politique européenne de la France, et donc sur l’avenir de la construction européenne.

2. Les Français ne sont pas europhobes et peuvent interrompre la séquence “Brexit-Trump”

La première place d’Emmanuel Macron contredit utilement les prophéties annonçant que la victoire de Trump et le vote en faveur du Brexit entraîneraient une vague irrésistible de votes nationaux de repli, et oubliant au passage les spécificités de ces deux votes anglo-saxons. Après la défaite de l’extrême-droite en Autriche et aux Pays-Bas, elle constitue un coup d’arrêt bienvenu, que nous souhaitons voir confirmer lors du deuxième tour via un rejet de l’europhobie incarnée par le Front National.

Car “l’europhobie”, ce n’est pas seulement critiquer vivement l’UE, ses décisions ou ses défaillances, en exprimant un “euroscepticisme” qui doit être mieux écouté et entendu par les autorités nationales et européennes. Être “europhobe”, c’est détester tellement l’UE, Schengen ou l’euro qu’on souhaite en sortir, au prix d’un saut dans l’inconnu dont les opinions publiques mesurent mieux l’ampleur après le vote “Brexit”, qui ne portait en rien sur l’appartenance à une union monétaire, pas plus que le vote Trump.

Sortir de l’euro, ce serait se priver d’une protection solide face à la spéculation financière internationale et jouer l’épargne des Français à la roulette russe. Ce serait s’exposer à nouveau aux dévaluations compétitives destructrices du passé : le nationalisme monétaire, c’est la guerre monétaire! Les europhobes français ont si bien perçu le soutien populaire dont bénéficie l’appartenance à l’euro qu’ils en viennent à pondérer ou à travestir leur volonté de rupture: mieux vaut ne pas prendre le risque de les laisser jouer aux apprentis sorciers avec notre économie et nos économies !

3. Regardons le monde pour être davantage Européens

Une victoire d’Emmanuel Macron, que nous souhaitons, permettrait de réaffirmer l’ancrage et l’influence de la France en Europe et de mieux défendre ses intérêts et ses valeurs au sein de l’UE, qui a besoin d’États membres forts pour être forte.

Elle renforcerait la capacité des Européens à sortir de crises de copropriétaires successives (traité constitutionnel, zone euro, réfugiés…) en regardant davantage le monde, dont nous ne sommes plus le centre et qui est plein d’opportunités mais aussi lourds de menaces. L’union fait plus que jamais la force face à des défis aussi nombreux et divers que le chaos en Syrie et en Libye, l’agressivité russe, le terrorisme islamiste, le changement climatique, la dérégulation financière internationale, les vagues migratoires incontrôlées, la montée en puissance de la Chine, l’imprévisibilité de Donald Trump ou la gestion du divorce UE-Royaume Uni…

C’est aussi dans ce contexte international instable que s’inscrit le choix auquel sont appelés les Français le 7 mai prochain, avant que les Tchèques et les Allemands ne soient invités aux urnes dans le courant de l’année. Nous souhaitons qu’une majorité de Français n’accordent pas leurs suffrages à une candidate qui regarderait vers la porte de sortie plutôt que vers ses voisins, et qu’ils soutiennent le candidat appelant à poursuivre et à approfondir le dialogue exigeant sur lequel a toujours reposé la construction européenne, afin de l’adapter pleinement au XXIe siècle.

Français et Européens, nous sommes et nous serons plus forts ensemble!

Signataires:

Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors, Pascal Lamy, président emeritus de l’Institut Jacques Delors, Yves Bertoncini, directeur de l’Institut Jacques Delors